Souvenirs de Sidi Bel Abbes
Il fallait bien se faire comprendre de tous. C'était pour nous des proies faciles. Ainsi, par exemple, l'été venu, pour délester le vendeur de pastèques, il suffisait de s'y mettre à plusieurs. Le plus bonimenteur d'entre nous négociait alors l'achat avec le marchand, lequel, comme l'exigeait la coutume, poussait la complaisance jusqu'à pratiquer dans l'écorce du cucurbitacée une petite entaille triangulaire pour prouver sa maturité. C'était ce que l'on appelait le "cata y raja", une vieille pratique ancestrale qui permettait au client de goûter au fruit avant même de l'acquérir.
Ce cérémonial n'était, on le devine, qu'une vilaine diversion pour détourner l'attention du vendeur, le temps pour les complices d'alléger subrepticement la carriole de ses plus beaux fruits et de décamper en quatrième vitesse sous les imprécations de l'infortunée victime maudissant leurs ancêtres par delà les générations.

Mais pour s'empiffrer à profusion des fruits de saison, rien ne valait , nonobstant quand même les risques parfois encourus, l'intrusion directe au coeur même des vergers. Tournez la page
Maraudages par Antoine Pavia 1/2
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Le marchand de fruits, dessin de José Crespo, cliquez pour l'agrandir
Les coups fourrés, c'était notre spécialité. Surtout quand il s'agissait d'abuser ces pauvres marchands ambulants qui parcouraient chaque matin les rues de notre quartier avec leurs charretons brinquebalants tirés par des ânes poussifs. Ils hélaient le chaland en poussant d'étranges mélopées où s'entrechoquaient bizarrement des bribes d'arabe, de français et bien sûr d'andalou.